Haïti : Comment le sortir des pièges de sa Constitution

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Nous voulons réagir sur la problématique de la Constitution haïtienne après avoir lu les positions de plusieurs auteurs haïtiens et organisations de défense des droits de l’homme. Nous remercions le CARDH, le RNDDH, la CE-JILAP, la POHDH[1], Madame Mirlande Manigat[2], Me Monferrier Dorval[3], Me Léon Saint-Louis[4] et Me Alain Guillaume[5], pour leurs contributions. Nous ne voulons pas contredire leurs positions, mais nous pensons que beaucoup d’auteurs haïtiens se trompent sur la Constitution haïtienne[6]. Il y a beaucoup d’analyses erronées, de confusions et de malentendus sur cette Constitution, en particulier sur les méthodes pour corriger ses anomalies et les institutions qu’elle autorise ou pas. La Constitution haïtienne contient des fautes qui font honte aux Haïtiens devant le monde et peuvent sembler comiques ou tragiques aux spécialistes du droit constitutionnel. Des fautes graves qui n’ont pas leur place dans un texte de droit, et encore moins dans une Constitution, qui auraient dû être rectifiées avant et après l’entrée en vigueur de cette Constitution, et qui peuvent l’être encore jusqu’à présent, deviennent de véritables obstacles au bon fonctionnement de l’État en Haïti. Ce n’est pas normal du tout.

Cela ressemble à un piège tendu par :

  • Des autorités publiques qui devaient engager les experts et constitutionnalistes nécessaires pour bien rédiger la Constitution et en prévenir les risques et failles;
  • Des constitutionnalistes, experts et manageurs juridiques qui devaient éviter les failles de cette Constitution évidentes même pour des novices en droit;
  • Des acteurs politiques qui alimentent les débats sur la problématique de la Constitution sans consulter les experts qu’il faut pour la résoudre;
  • Des acteurs de la société civile haïtienne qui opteraient plutôt pour des dialogues sans fin sur les difficultés d’Haïti qu’à leurs résolutions.

Cette affaire ressemble fort à un piège intentionnel, car les acteurs impliqués sont supposés savoir comment traiter le problème ou comment solliciter des experts pour régler les questions relatives à une Constitution.

On dirait un traquenard des Constituants. Les Constituants de 1987 ont placé la Nation haïtienne dans une situation sans issue en instaurant des institutions qui mettent en péril le bon fonctionnement de l’État que seuls ceux qui en bénéficient le plus et les plus attachés à leur pérennité peuvent changer[7]. Les seuls qui peuvent réparer les anomalies sont ceux qui en bénéficient, qui sont les plus caractérisées par ces anomalies et qui ont intérêt à les garder, et il est interdit de consulter le peuple par référendum pour les rectifier[8]. Les citoyennes et citoyens qui subissent les anomalies de la Constitution ne peuvent donc pas les corriger ni aider à les corriger. Pas de possibilité pour le peuple d’être consulté, ni de proposer des lois, ni de faire prendre en compte ses requêtes. Pas de droit de référendum populaire, ni d’initiative citoyenne, ni de droit réel de pétition[9]. Les Constituants de 2011 et de 2012 ont reproduit les mêmes défectuosités évidentes créées par leurs prédécesseurs sans suivre les avis d'experts pour les corriger. En effet, la procédure d’amendement prévue, qui n’inclut que les institutions les plus défectueuses, le pouvoir exécutif et le Parlement, est si compliquée et aléatoire qu’on risque de s’enliser sans jamais pouvoir aboutir à une solution. En suivant le processus d’amendement établi par la Constitution haïtienne, il est extrêmement difficile de résoudre les crises constantes auxquelles Haïti est confrontée. En résumé, les dispositions de la Constitution haïtienne ont créé une situation de crises et d’insécurité constantes sans solution, en donnant à leurs seuls profiteurs le choix de modifier les choses s’ils le souhaitent, tout en excluant leurs victimes de toute voie légale pour instaurer des changements.

Plusieurs facteurs expliquent cette situation inextricable. On peut constater que le texte de la Constitution haïtienne n’a pas été rédigé par des constitutionnalistes et des juristes qualifiés et compétents. Il n’a fait l’objet d’aucune vérification, ni harmonisation, ni mise en conformité ou en compatibilité, ni évaluation préalable concernant sa mise en œuvre. Les personnes qui s’expriment le plus sur les questions de la Constitution ne sont pas des constitutionnalistes. On débat beaucoup de ces questions, mais on n’a jamais sollicité les experts qu’il faut pour proposer des solutions. L’approche diagnostique risque également de compliquer le piège, car elle se contente d’énumérer les problèmes sans consulter les spécialistes pour leurs solutions. Elle maintient les Haïtiens dans une série de discussions qui n’offrent pas de perspectives de résolution. Comme à l’accoutumée, les acteurs de la scène politique ont transformé un problème simple qui aurait pu être réglé en quelques heures en source de crises incessantes. Ce problème, qui serait résolu en quelques heures avec peu de difficultés dans d'autres pays, perdure depuis plusieurs décennies en Haïti, et il est impossible de savoir quand, ou même si, il sera un jour résolu.

Pour sortir Haïti de ce piège, de nombreuses positions d’auteurs haïtiens doivent être reconsidérées. Contrairement à ce que certains ou certaines croient, une Constitution n’est pas à interpréter strictement. Elle n’est pas d’interprétation stricte. Au contraire, elle s’interprète selon les besoins auxquels elle répond, les raisons de sa création, ses objectifs fondamentaux et les principes qui lui sont supérieurs. Il faut s'inspirer des pays les plus développés qui analysent leurs textes constitutionnels ou corrigent les fautes liées à ces textes. Aucun peuple n’est, non plus, tenu de demeurer indéfiniment dans les pièges posés par les dispositions erronées de sa Constitution. Je ne suis pas au courant d’un système juridique standard qui envisagerait la rédaction d’une nouvelle Constitution comme solution à un problème de non-conformité ou d’incohérence dans ses textes fondamentaux, ou qui se limiterait à des méthodes d’amendement dolosives, irréalisables, incapables de mener à des solutions adéquates.

De plus, contrairement au débat actuel concernant les institutions autorisées par la Constitution haïtienne, même si une institution n'est pas explicitement prévue par les dispositions secondaires de la Constitution, elle peut être établie tant qu'elle respecte les principes et droits fondamentaux, les normes internationales et les normes supérieures à la Constitution. Il est aussi possible d'éliminer ou d'ignorer tout ce qui est contraire à ces principes et droits fondamentaux ou supérieurs. Juridiquement, même la Cour de cassation est, implicitement, compétente pour aider à résoudre les problèmes actuels de la Constitution haïtienne. Cependant, il est impératif d'y intégrer des juristes de droit public et des constitutionnalistes hautement qualifiés et compétents, pour reconnaitre cette competence et formuler les solutions jurisprudentielles appropriées pour ces problèmes.

L’essentiel d’une Constitution est d’établir les bases pour garantir les libertés et droits et le bon fonctionnement de l’État. Elle n’a pas besoin de détailler ou de prévoir tous les moyens et mécanismes d’y parvenir. Si la Constitution omet ou prévoit mal certains moyens ou mécanismes nécessaires, ils peuvent et doivent être corrigés sur le fondement des principes et droits fondamentaux et des normes qui lui sont supérieures. L’absence de certains mécanismes nécessaires ou des mécanismes défectueux dans la Constitution ne doivent pas empêcher l’État d’atteindre ses missions ou objectifs fondamentaux ou bloquer le fonctionnement de l’État. Une Constitution ne doit pas nuire au peuple ou être un piège pour le peuple qu’elle gouverne. Son but est de rendre la vie du peuple meilleure, pas l’inverse. C’est le peuple qui l’utilise à son avantage, pas l’inverse. Ce principe est supérieur à toute Constitution et a tout autre principe ou règle. Et si une Constitution piège son peuple, nuit à son peuple, ou met son avenir en péril, il est impératif d’enlever les pièges et les causes de nuisances pour la rendre fonctionnelle et libérer ce peuple. C’est la première des démarches à entreprendre. Si une procédure prévue par une Constitution met en péril un peuple, si une Constitution est nuisible pour un peuple, la première étape doit être de supprimer les nuisances pour rendre cette Constitution opérationnelle.

Toute Constitution, qu’elle se compose d’un seul ou de plusieurs textes, se divise en deux parties principales : celle qui établit les principes et droits fondamentaux, et celle qui contient les dispositions secondaires. Chaque Constitution est soumise à des principes de sécurité juridique, exigeant que ses dispositions secondaires soient en accord avec les principes et droits fondamentaux qu’elle établit, et qu’elles soient compatibles ou cohérentes entre elles. La Constitution haïtienne est affectée par un défaut majeur qui compromet le fonctionnement normal de l’État et l’avenir du Peuple haïtien : une discordance entre les principes et droits fondamentaux qu’elle consacre et les mécanismes de gouvernance qu’elle prévoit. Par conséquent, la première démarche envisageable pour libérer Haïti des pièges tendus par les dispositions secondaires de sa Constitution est d'identifier et de supprimer ces pièges.

L’avantage de la Constitution haïtienne est que tous les principes et droits fondamentaux qu’elle établit sont approuvés tacitement par la population et les élites. Cependant, les mécanismes de gouvernance qu’elle prévoit sont critiqués ou contestés par le Peuple haïtien et les élites. Les procédures d’amendement, par exemple, n’ont pas été validées par une instance de contrôle de conformité aux principes et droits fondamentaux, aux normes supérieures et aux standards internationaux. Ces procédures ne prévalent pas sur les droits fondamentaux des Haïtiennes et Haïtiens. Lorsqu’elles sont contraires aux principes et droits fondamentaux de l’homme et aux normes supérieures, et qu’elles mettent en danger les droits du Peuple haïtien, les procédures d’amendement constitutionnel ne peuvent être opposées à ce peuple.

Les procédures d’amendement et le régime politique établis par les dispositions secondaires de la Constitution haïtienne ne constituent donc pas un obstacle insurmontable. Pour y remédier, il est impératif de mettre en place une instance de contrôle de constitutionnalité et de conventionnalité crédible, compétente et impartiale, pour vérifier leur conformité, les censurer et proposer les ajustements convenables. Dans les systèmes juridiques les plus performants, il n’y a qu’une solution pour régler les conflits entre les règles de différents niveaux : une autorité compétente qui vérifie la conformité. Dans ses principes fondamentaux, la Constitution haïtienne a indiqué clairement comment doivent être le régime politique et les mécanismes de gouvernance. Contrairement à ce que certains auteurs et citoyens haïtiens peuvent penser, les procédures d’amendement de la Constitution et les mécanismes préjudiciables au bien-être du Peuple haïtien ne sont pas immuables, incontestables et insusceptibles de recours. Elles peuvent être censurées par une instance de contrôle de la conformité aux principes et droits fondamentaux et aux normes supérieures, comme tout autre mécanisme de gouvernance nocifs pour le Peuple haïtien. Ces procédures n'ont pas à être suivies si aucune autorité compétente pour vérifier leur conformité à la Constitution et aux conventions internationales ne les a approuvées.

Aucune nation n’est obligée de se soumettre aux pièges tendus par des gouvernants imprudents. Aucun peuple ne doit adhérer à des mesures ou des processus trompeurs ou dolosifs établis par des individus ou institutions sans obligations contractuelles ou extracontractuelles claires. En dépit de l’importance attribuée aux procédures d’amendement, celles-ci devraient être perçues comme dolosives ou trompeuses et entraîner des actions en justice contre leurs créateurs et leurs complices. Ces procédures ne prévalent pas sur les principes et droits fondamentaux énoncés par la Constitution. Elles ne sont pas opposables au Peuple haïtien si elles n’ont pas été déclarées conformes à la Constitution et aux normes supérieures par une institution compétente de contrôle. Il est essentiel de solliciter l'intervention de constitutionnalistes et de publicistes hautement qualifiés et compétents, maîtrisant les méthodes de résolution des problèmes liés aux textes fondamentaux dans les systèmes juridiques avancés, afin d'aider Haïti à se libérer de ce piège résultant du manque de respect pour le savoir.

 

Notes de référence

[1] Centre d’analyse et de recherche en droit de l’homme – CARDH, Réseau National de Défense des Droits Humains – RNDDH, Commission Épiscopale Nationale Justice et Paix - CE-JILAP, Plateforme des Organisations Haïtiennes de Droits Humains-POHDH, file:///C:/Users/amosm/AppData/Local/Temp/MicrosoftEdgeDownloads/82ac27a8-482b-4c9e-9fb4-542d5ac1584c/CARDH-Sur-le-processus-damendement-de-la-constitution.-fev.18-1.pdf

[2] Mirlande Manigat : « plaidoyer pour une nouvelle Constitution », Journal Le Nouvelliste du mardi 30 et du mercredi 31 août 1994 (idées et opinions); « Les amendements dans l’histoire constitutionnelle d’Haïti », janvier 2017.

[3] Monferrier Dorval, « Une autre Constitution pour Haïti » La Basoche « Revue du barreau de Port-au-Prince », C3 Edition, Mai 2017, no 1.

[4] Léon Saint-Louis, « Panorama des régimes politiques haïtiens 1804-198 », La Basoche « Revue du barreau de Port-au-Prince », C3 Edition, Mai 2017, no 1.

[5] Allain Guillaume, « Une autre Constitution pour Haïti », La Basoche « Revue du barreau de Port-au-Prince », C3 Edition, Mai 2017, no 1.

[6] Voir Jean Pharès Jérôme, 18 octobre 2007, Préval tire à boulets rouges sur la Constitution, https://www.lenouvelliste.com/article/49906/preval-tire-a-boulets-rouges-sur-la-constitution

[7] Constitution haïtienne de 1987 amendée, art. 282 à 284-4.

[8] Constitution haïtienne, art. 284-3: « Toute Consultation Populaire tendant à modifier la Constitution par voie de Référendum est formellement interdite ».

[9] Les dispositions de l’article 29 de la constitution haïtienne reconnaissent le droit de pétition individuel ou en groupe, mais il n’existe aucune procédure de traitement des pétitions ni aucune obligation pour les autorités publiques d’y répondre.

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